22 janv. 2012

Le faucon

من ديوانه: الجبل ليس عقلانيا


(Texte du poète marocain Mohammed ESSABER, traduit par M. ABBA)

Ici, depuis sa naissance, un faucon soigne ses souffrances à l’aide de bouts de ténèbres, colmate leurs brèches avec de la térébenthine gluante. Un faucon doué en matière de pleurs et de recherche de larmes salées, faisant tout cela avec son vieux bec, éprouvant avidité pour la soif, soif pour l’avidité. Ni les cavernes qui, sanglotant, invoquent l’Histoire, ne le rassasient, ni les chroniques flétries à force de l’âge. A l’aide de son imagination il remplit les fissures des mûrs des désastres que subirent les bergers pendant l’hiver précédent. Son temps est vanité, mais il lui est une douleur qu’il étouffe dans le café, lequel est sa seule voix. Il lui est un sanglot qui ressemble presque à l’odeur du pain ; un sanglot luisant telle l’eau qui trempe les filets des pêcheurs. Il est éternellement perdu entre garder le silence ou adopter des rites, autres que les rites maculées. Tout comme les arbres il lui est, éternellement, des croyances nombreuses, des croyances élancées, semblables aux palmiers. « Rafistole-moi, ô Tisserand des univers! ». Ainsi ses ailes battent-elles quand il se pose, la nuit, sur une pierre isolée, psalmodiant, en solitaire, tel un poète. Il lui est des lois qui terrifient les hiboux qui poussent leurs ululements dans les prairies, appelant la nuit au rassemblement. Il aime l’allure de l’albatros, l’allure qui ressemble le plus à un muwashshah, poème ornée, entre les couvertures d’un livre ancien. Eveillé, depuis son premier cri il n’a connu le sommeil. Ses larmes sont tellement abondantes qu’il renonce à pleurer. On dit qu’il s’isola durant de longues années, observant la nature des tristesses et, une fois les entrailles de celles-ci taries, il se transformait en un rai de lumière qui dispersait l’odeur du bois en début de journée.

Les battements de mon cœur sont des astres qui se bousculent, sont l’affluence des nuits devant la porte des contes, sont des fentes dans les galaxies, des fissures dans le vent… Incarnent ainsi les battements de mon cœur les amas de pierres qui courent vers les sillons, brandissant un bouquet d’écritures, lequel est faucilles, lances et merlins. Les battements de mon cœur sont des flammes déchaînées et aveugles. Les battements de mon cœur, sont une chimère qui, remplie de crépuscule, n’émergea de nul part, excepté de mon imagination. Semblables aux coups de tambours sont les battements de mon cœur.
Tout ces tranchées sont mes écrits. Les duvets follets des eaux, c’est moi qui les ai ressuscités grâce à mes chants. Les nuages auxquels j’ai fait du massage, les mûres sauvages, c’est moi qui les ai couverts avec les entrailles de l’ombre, c’est moi qui ai ameuté leurs feuilles, si bien qu’elles se rassemblèrent.
Et puis, parce que je suis un être sentimental, j’enchaîne le vent jusqu’à ce que, en haillons, les chênes-lièges viennent, accompagnés des religions révélées, avec leurs Livres et Registres qui, entre les couvertures, contiennent le nom des astronomes ; les noms qui ressemblent aux orifices de la lune. C’est parce que je suis un être affectif je me mets à l’écart et, solitaire, j’attends la mort tragique des étoiles auxquelles, à l’aide de mon bec, je rafistole la vie confiant à leur tréfonds ma perte et ma défaite.

Car je suis sentimental je me m’isole, écoutant les souffles étouffés des montagnes, les souffles des racines des arbres et ceux des pierres, regardant le bleu majestueux des volcans qui peuplent les yeux des tigres pendant la nuit étourdissante. Moi seul, je fais rire les ténèbres avant des les dévorer. On m’accuse alors : ce n’est pas mon âme que je défends, c’est plutôt mon Être. Mon Être qui s’aggrave en matière de sagesse et d’insouciance, de même qu’il s’aggrave en matière d’outrance. Moi seul, j’organise des spectacles fascinants pour le vent et le brouillard, tout comme je façonne l’aurore boréale et les jette au poisson, après le coucher du soleil. Moi seul, j’assiste au retour des loups gris et leur prépare des énigmes, après qu’ils aient englouti les étoiles qui avaient fui les mandibules des fourmis.
Pourtant, tout cela, point ne m’intéresse. M’intéressent les fers qui alourdissent mon idiome tellement qu’il devient semblable à moi, marchant à mes côtés, tendant les mains en avant, fermant les yeux pour ne pas se cogner contre l’oubli ridé tel un arbre ensorcelé.

M’intéressent les souffles d’acacias, suspendus à une corde en rêvant. Des souffles ni morts ni vivants car, à l’aide de leurs griffes, ils tentent d’attraper la terre. C’est pourquoi je n’explorerai pas le visage de la métaphore, car elle n’a pas préservé ma voix. Elle me l’a rendue, tout comme mon odeur, mon ossature neutre et les encriers des ancêtres. Que de fois j’ai pensé qu’elle jouerait avec moi : je lui ai lancé des averses, mais elle ne m’a rien jeté. Et il arriva que j’aie connu une traversée de désert, je l’ai franchie seul, dépouillé, blessé, exténué. Je l’ai parcourue, côte à côte avec les livres anciens, prêtant l’oreille à mes os creux, au vent qui traversait leurs cavités sombres, recherchant ma voix étouffée dans les volumes de l’aube, dans les plis de la nuit, dans les peaux caprines séchées sur le feu de l’ennui.

Il advint que j’aie approché la gomme pour tresser ma mémoire, mon oubli et en faire une corde, afin de jouer avec avant de m’en débarrasser. Il advit que j’aie suffisamment prouvé à la poésie que je ne désirais point une demeure depuis laquelle je surveillerai les navires qui revenaient d’une guerre où les morts avaient cohabité. C’était pour que je devienne la Parole que Dieu a offerte aux plantes, aux léopards et aux arbres dont j’avais tant rempli le tronc de mes cris. Parole qu’un poète attraperait, ferait cuire sur du papier, en faire un dîner partagé avec les amis, alors que la lumière ténébreuse et froide marche au bord de la rivière, sans gloire ni souvenirs. Il advint que j’aie possédé des métaphores dont je ne savais pas quoi faire, des métaphores plus nombreuses que d’habitude, si bien que je n’arrivais plus à faire la différence entre la luisance de la pluie sur le bitume à minuit et les parlotes des aliénés. Parlotes que je transforme en lumière, que je tords avec mon bec et, ensuite, je bâtis mon nid.
Je suis la Parole. Je ne me sens plus à l’aise au sein de la métaphore que la jalousie a assassinée, de sorte qu’elle soit devenue incapable de jouer avec moi.

Maintenant seulement, alors que nous nous sommes querellés, il lui est devenu à disposition des poupées et des marionnettes. Et moi, avec les métaphores, que de fois nous avons joué avec la narration ! Que de fois nous l’avons ligotée dans un coin de la chambre du fond ! Et nous nous sommes cachés, échangeant les baisers, l’amour, nous passant le savon.
Je suis la Parole de Dieu.
L’arbre que couvrent des feuilles semblables aux mains des enfants s’agite avec éloquence sans rien dire, l’arbre que couvrent des fleurs, lesquelles deviennent des fruits que seuls les nuages font mûrir.
L’arbre dont les rameaux sont intacts : le cri qui transperce l’air et y crée des yeux qui voient ce que ceux de l’arbre ne voient point.
Viennent ensuite les enfants des paysans avec leurs échelles, leurs bâtons et leurs tuniques aux couleurs d’esprits et de diables, afin de cueillir les nuages en offrande à leurs mères. Entre temps les fourmis me pincent de tout bord, si bien que mon lait coule et s’effondrent les esprits enfouis dans mon tronc pour que je devienne Moi, Moi sans saveur et sans hurlement.

La forêt, de rien je ne veux lui parler
La forêt chétive.
Je désire seulement mettre ma tête sur les genoux de l’aube vieillissante
occupée comme elle est à tisser une tunique aux manches larges
pour la terre.
J’entends alors sa respiration :
Longtemps il a marché
Je l’ai tant aimé, si bien qu’il est devenu mon antonyme, mon opposé, je veux dire :
ma voix qui habite le vent
et mon écho qui se dissipe dans la poussière.
Ni les lunes ne m’offrent la lumière
Ni le soleil
Ni les étoiles qui se baignent dans mon sang
Mais plutôt le regard fixé sur les idées quand
elles se mettent à se reproduire
et que je vois leur sang et leurs lambeaux suite à l’accoudement.
J’entends alors le cri de la naissance
Que de fois j’ai assemblé les ponts anciens et arides
Les ponts délaissés, morts sans cérémonies
Et les ai remis dans leur lit !

La forêt, je ne veux pas lui parler du tonnerre
qui s’est éparpillé tel des nuages bas.
Et il s’en produisirent les religions et les croyances.
Je désire seulement entrer dans le cimetière,
mettre ma tête entre mes genoux et pleurer.

Je suis donc la Parole sans voix
Ma langue est noire comme la Pierre [Sacrée], comme le foie
Je déguste les fruits, les bourgeons, les graines et les papillons
avec mes yeux-ci, sans dévisager les mots
Je dévisage plutôt le renard, solitaire, escaladant la montagne
afin de saisir la lune entre ses mâchoires.

Le silence dans ma ferme
met sa tête entre ses ailes et ne mange
que lorsque je fais battre les miennes
que lorsque je lui lance les lézards, les petits des serpents
et les coléoptères qui ressemblent aux mauvaises idées.

Tout comme je remets les ponts dans leur lit
J’évoque les esprits et les spectres
avec leurs plumes semblables aux clous
Les esprits des loups morts à cause de la soif,
juste à côté de leurs ombres.
J’évoque les ossements de leur rire
qui s’enfonce dans le silence.

Sous mes ailes je couve les rivières, les torrents, les tonnerres fragiles
et les anciennes croyances des platanes
De mes cils surviennent les nuées tels des animaux étranges
Tel le pain trempé dans l’ombre.
Qui croirait à mon jeu :
Lorsque, Moi, je deviens l’oubli, il s’avère que c’est Moi qui me suis disposé,
des années durant,
à veiller sur les galaxies,
les suivant,
et les menaçant d’obscurité et de sentiments divers
chaque fois qu’elles rejetaient mon appel.

Qui croirait à mon jeu :
Quand, face à la mort, je suis le plus meurtrier, mes tresses deviennent des chaînes de bicyclette
mes mains des clefs du mécanicien
mes jambes des marteaux en acier et fer disloqué, assemblés par la sueur des ouvriers
et des mains, toujours, je fais résonner le tambour qui se trouve entre mes genoux
organisant des fêtes pour les montagnes qui peuplent le déclin émanant de mon tambour.
C’est que, l’Histoire et Moi, sommes frères utérins, le mythe nous a enfantés et dispersés.
Qui croirait à mon jeu ?

Et maintenant, de la terre, il me reste peu de chose
sur mon corps, à proximité des herbes engourdis
là où je flâne en compagnie de la lumière tamisée de la lune.
Ensuite, tôt le matin,
je reviendrai
vers mon corps
je me glisserai à côté de mon nom frémissant
je le prendrai dans mes ailes enfermées
et je dormirai.

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