4 déc. 2009

Séparation









Elle se tourna vers lui, caressante, se tortillant dans le lit, tout à fait semblable à sa chatte paresseuse.
- Tu m’aimes, mon Prince Arabe ?
Il songea, encore une fois, à ce surnom qu’il lui avait tant déconseillé d’utiliser. Que de fois il l’avait priée de l’appeler de son vrai prénom, Abderrahman, sans lui attribuer aucun autre qualificatif.
Il sourit en pensant au fond de lui qu’elle était non seulement une véritable entêtée mais, aussi, de commerce difficile. Il pensa également à cette question qu’il n’entendait pas pour la première fois et qui ne serait peut-être pas la dernière. Son honnêteté, de même que ses sentiments, ne lui permettaient pas de répondre par l’affirmative, de lui donner la réponse qu’elle espérait et qu’elle tenait à lui arracher quelque soit le prix.
« Mentir à une femme ne me ressemble pas. C’est là faiblesse et manque de personnalité… », se disait-il, non sans orgueil et fierté.
Après tout, dès le début de cette liaison qu’il considérait comme éphémère, malgré son ancienneté de quelques années, il était suffisamment clair et franc avec elle. Mais elle ne se découragea pas et continua à répéter la même question chaque fois que l’occasion le lui permettait.
- Ne me fuis pas. Est-ce que tu m’aimes, Abdou ?
Il s'écarta d’elle en douceur et, avec sa subtilité habituelle, tenta de changer de sujet. Elle le retint subitement par le bras et le tira si violemment qu’il se retrouva allongé à côté d’elle comme auparavant.
Abdou s’étonna de cette brutalité inopinée. Il réfléchit brièvement avant de tenter une réponse en bégayant.
- Je ne sais pas encore, Madeleine. Je…. J’éprouve pour toi beaucoup de… de tendresse, de respect et de…
Elle eut le visage tout rouge. De ses yeux regorgeant de déception et de colère des flèches s’étaient lancées le transperçant. Ses lèvres frémissaient avec une nervosité inhabituelle alors qu’elles tentaient de prononcer quelque chose.
- HEIN !, vociféra-t-elle après tant d’efforts et d’hésitations. Tu me respectes ? Ah, que c’est beau ça ! Qu’est-ce qu’il est étrange ce respect ! Tu me respectes et tu me baises ? Hein ! Réponds-moi ! C’est quoi ce respect à la con ? Sois courageux et avoue que tu es encore attaché à cette pute qui t’a quitté et laissé comme un chien…. Tu l’aimes, elle, et tu me baises, moi ! Non, monsieur Abdou, non… Je refuse cette situation. J’en ai assez. Marre. Marre de toi aussi. Je ne veux plus te voir. Allez ! Sors de chez moi et ne reviens plus jamais. Va voir ta pute….
Il essaya de calmer son effervescence mais cela ne fit qu’attiser son émotion et sa colère. Il se sentit pris de panique. A un certain moment, il craignit qu’elle n’eût l’idée de lui porter atteinte physiquement, en laissant, par exemple, sa main traîner machinalement et prendre un couteau ou tout autre objet et le poignarder inconsciemment, comme cela arrive souvent dans les films et les crimes passionnels.
Il fut pris d’une véritable panique. Il enfila n’importe comment ses vêtements et claqua la porte derrière lui. Alors qu’il descendait les escaliers à la hâte la voix de Madeleine le poursuivait. C’était une voix hystérique qu’il ne lui avait jamais connue auparavant.
Il était autour de minuit, la voiture traversait les rues en bolide. Il ne cessait d’appuyer sur l’accélérateur comme s’il était poursuivi. Les feux rouges ne l’empêchaient guère de s’arrêter. Il pensait à Madeleine. Madeleine la douce qui, ayant été un ange blond et affable, s’était muée en Méduse, une Méduse violente, folle et… Et il revit ses yeux qui crachaient des flammes. Ils étaient devenus subitement des braises rouges après avoir été bleus, semblable à un beau lac au printemps. Quelques instants auparavant ces mêmes yeux le transperçaient avec dédain et fureur. Ils foudroyaient la stature du Prince Arabe, le réduisaient en un simple gueux, un être digne de mépris. Ils le réduisaient à néant.
Des voitures firent raisonner leurs klaxons. Abdou comprit qu’ils le concernaient. Il ralentit alors et tenta de retrouver son calme habituel, vira à gauche et engagea le véhicule le long de la rue Garibaldi. Au bout de quelques minutes il s’arrêta, éteignit les feux, coupa le moteur en un mouvement éclair et courut vers l’immeuble où se trouvait son appartement, renonçant à prendre l’ascenseur, préférant escalader les escaliers jusqu’au cinquième étage. Haletant, il se dirigea directement vers la salle de bains, ouvrit le robinet et livra toute sa tête au jet d’eau froide. Se sentant apaisé, il épongea son visage, essuya ses cheveux et les peigna. C’est alors qu’un spectre attira soudain son attention dans le miroir couvert de brume. Il y fixa ses regards, se retrouva en face de lui-même.
- Bravo !, reprocha son « double ». Tu dois être fier de toi maintenant, espèce de lâche !
Abdou fit un geste de dégoût et d’agacement en fuyant du regard son interlocuteur. Il tenta de se retirer de là, mais celui-ci le stoppa net, non sans provocation.
- Arrête de me harceler s’il te plaît. Je ne suis pas un lâche. C’est son comportement étrange, à elle, qui m’a surpris. Voilà tout.
- Pourquoi tu ne lui as donc pas dit toute la vérité ?
- Je ferai ça la prochaine fois.
L’autre visage, dans le miroir, moqueur, rit aux éclats.
- Non. Non, mon ami. Il n’y aura pas de prochaine fois. Moi non plus je ne te crois plus. Que de fois tu m’as promis d’être toi-même, c’est à dire d’être moi. Mais tu continues à tergiverser. Tu dois savoir que…
- Je ne veux rien savoir, l’interrompit Abdou. Dis-moi, toi, que faire et fous-moi la paix. Je suis fatigué et j’ai envie de dormir. C’est tout ce que je veux maintenant.
- Décidément, je t’ai donné plus de liberté que tu ne le mérites. Tu me demandes que faire ? Viens. Viens vers moi pour que je t’explique les choses. Entre, entre…

Avec l'intention de ne se réveiller qu’à midi, Abdou prit la boîte de somnifères et avala deux cachets en même temps. Quelques instants plus tard il sombra dans un profond sommeil.
Cette nuit-là, ni songe ni cauchemar ne lui rendirent visite. Cependant, à un certain moment, il sentit un bourdonnement agaçant qui martelait ses oreilles. Il remua dans son lit, tenta vainement d’ignorer ce qui lui arrivait. Les signes de l’éveil l’envahissaient malgré lui. Il se frotta les yeux et fixa l’horloge murale. Les bourdonnements se succédaient et, lentement, il réalisa qu’il s’agissait de la sonnette de son appartement.
Il se ramassa tant bien que mal et, trébuchant, se dirigea vers la porte où il entendit une voix féminine qui suppliait.
- Abdou, chéri. C’est Madeleine. Ouvre s’il te plaît. Je sais que tu es là…
Hésitant il ouvrit la porte, surpris par la présence de cette femme dont le nom ne lui signifiait rien. Il se retrouva en face d’une femme de taille moyenne, blonde, élégante, abordant la quarantaine. Il la fixa et s’arrêta sur ses yeux bleus, semblables à un lac en plein printemps. Elle était belle malgré la pâleur et les signes de fatigue qui montraient qu’elle venait de passer une très mauvaise nuit.
- Pardonne-moi, Prince Arabe, s’empressa-t-elle d’une voix implorante. J’avais perdu mes nerfs hier soir. Je t’aime. Tu le sais ça ? Laisse-moi entrer.
Abdou était en proie à l’embarras et aux interrogations. Il se crut dans un rêve, mais la voix suppliante le rendit à la réalité.
- Je suis désolé, Madame, balbutia-t-il, en une tentative de dissiper l’équivoque. Je ne sais pas qui vous êtes. Vous vous êtes trompée d’adresse et…
- Abdou, hurla-t-elle. Ne joue pas ce sale jeu avec moi s’il te plaît. Je t’ai mal traité, d’accord, mais voilà que je viens m’excuser. Tu veux quoi de plus ?
Dans ses bras elle tenait sa chatte noire, somnolente, la cajolant avec douceur et tendresse comme s’il s’agissait d’un bébé fraîchement né. La chatte paresseuse émettait des miaulements de plaisir, demandant ainsi davantage de soins.
- Regarde Mimi, Abdou. Elle aussi te demande pardon. Laisse-nous entrer.
Abdou poussa un ouf et essaya d’être plus clair.
- Madame, je ne vous connais pas, et je ne connais pas Mimi. Et puis, je m’appelle Abderrahman, et pas Abdou !
Elle le transperça de regards. Surprise. Indignée.
Il y eut un moment de silence, avant qu’elle ne lui demandât, comme victorieuse, prenant l’attitude de celui qui avait tendu un piège à son adversaire imbattable.
- Bien, dit-elle avec un sourire narquois, dessiné sur ses lèvres sèches. D’accord, si tu n’es pas Abdou, il est où donc ?
- Là… là-bas, répondit-il, comme s’il transmettait un message évident. Dans la salle de bains. Le miroir l’a englouti.
- Tu es devenu fou ? Quel miroir ?
Il essaya de fermer la porte, mais elle l’en empêcha en criant et protestant :
- Abdouuuu ! On dirait que tu as pris une saloperie de drogue cette nuit, ou bien tu as lu un de ces livres qui te bousillent le cerveau ! Combien de fois je te l’ai déconseillé. Arrête de te conduire comme un âne et laisse-moi entrer.
- Madame, sachez que je n’ai aucun lien avec les livres et que plus sain que mon cerveau vous ne trouverez pas. Rassurez-vous. Au revoir.

Comme résigné devant son cas difficile, il l’inonda de regards froids, vides de tout sentiment.
Elle le fixa de ses yeux bleus et transperçants, plongea dans son visage endurci et glacial. Elle n’y trouva pas les traits de son Prince Arabe. Elle était en présence d’un autre homme…
Un torrent de réflexions coula dans sa tête alors qu’elle reculait, prise de frayeur…

La porte se referma. Et l’Emir Arabe plongea dans un profond sommeil.

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