11 mai 2009

Des voix dans le corps



[Je vous le dis: il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante]
"Ainsi parlait Zarathoustra."
Nietzsche.


I

[— ..........................
— Comment te permets-tu l'absolution de cette manière ? N'as-tu pas honte ? Et ceux-là, as-tu pensé à eux ?
— .............................
— Réponds-moi ! Et ceux-là ?
— Ceux-là !
— Oui. Les autres.
— Les autres ne sont que chimère et illusion. Ils te hantent et m'emplissent, mon ami.
— N'as-tu pas songé à leur vie d'enfer ici-bas ? Pense à eux un instant avant de penser à ton propre salut !
— Je n'ai proclamé que mon choix. Je n'ai balisé que ma propre voie. Ceux-là, ce troupeau comateux, ne m'a procuré que souffrance et déception. De "Eux", je suis donc innocent.
— Ah, mon semblable ! Ah, l'égoïsme débordant ! Mais, vraiment, es-tu mon semblable ?
— .............................
— Réponds-moi ! As-tu réfléchi ?
— A quoi, ô petit moi ?
— A ce que tu comptes faire et à ce qui adviendra. Ne me dis-tu pas que ta décision est sans appel ?
— Toi, mon double qui sait tout, sache que l'homme doté de raison ne renie guère ses décisions.
— Je te demande seulement si tu as bien réfléchi !
— J'ai mûrement, mûrement réfléchi.
— Alors tu partiras sans retour ? !
— Tu veux dire que je..... (il doit mimer un geste, représenter une idée)
— Parfaitement.
— Imminente, ma disparition. Pour te rassurer, sache que ma voie n'a pas de sens inverse.
— Puisqu'il en est ainsi, tue-le et délivre-nous !
— Que me dis-tu ?
— Tue-le, je te dis !
— Mais à qui veux-tu que j'ôte la vie ?
— A Lui, à ce mal incarné qui règne sur nos têtes, celui à qui nous sommes et appartenons, celui qui nous possède en nous dépossédant, celui qui a la quiétude et qui nous inculque toute sorte de malheur, celui dont les tentacules nous serrent le cou jusqu'à l'étouffement... Lui l'invincible face à notre faiblesse. Finis-en avec Lui avant de t'en aller pour de bon.
— Que de peur tu me fais ! Ne serais-tu pas atteint d'un brin de folie ?
— Mon esprit n'a jamais été aussi sain et sauf. Ma volonté est de défaire le nœud qui entrave tes pensées.
— Oh, non ! Je vois ce que tu entends. C'est l'impossible que tu me demandes là.
— Je ne te demande pas, je t'ordonne ! Que crois-tu ?
— As-tu bien réfléchi ?
— Mûrement réfléchi. Et toi ?
— Exactement pareil. Mûrement, amplement.
— Supprime-le donc ! Débarrasse-Les de Lui !
— Non, pitié ! Fais-le toi-même ! Moi je...
— Mais moi je reste dans cette demeure ! Je veux continuer à vivre, alors que toi, tu es partant.
— Non, je ne suis pas partant !
— Ne comptes-tu pas faire la grève de...
— De la vie ?
— Peut-être as-tu changé d'avis, toi l'être raisonnable qui ne renie guère ses décisions ?
— Jamais.
— Alors fais qu'Ils vivent en paix après toi. L'obstacle éternel et implacable c'est Lui. Une fois Lui disparu, Ils peuvent prendre aisément leur destin en charge. A jamais. Cependant la tâche la plus dure subsiste tant qu'Il est là. Il m'est idée que tu es seul capable d'accomplir cette mission. En te sacrifiant ainsi, tu t'élèveras au plus haut degré du renoncement, du dépassement de soi. A coup sûr, on te sacrera comme un être éternel et béni...
— Oui, cause toujours !... Sauveur !... Voilà ce que tu tends à faire de moi. Mais moi, c'est ma peau seule que je désire sauver. Rien d'autre... (silence, rires) ... Tu veux que "Ils" soient délivrés de "Lui" par "Moi" ! Tu m'ordonnes ! Tu ne me demandes pas !... Ha !... Ha !... Ha !...
— Parfaitement. Puisque tu n'as plus rien à perdre.
— ..................................
— Hein ! Que dis-tu ?
— Je dis que de la raison tu as une pincée, et de l'obstination tu as des tonnes.
— Épargne-moi tes commentaires et dis ce que tu comptes faire. Je perds ma patience !
— Je... j'ai décidé de...
— Hein ! Quoi donc ?
— J'ai décidé de décider plus tard.
— Plus tard ?
— Ouiiii ! Es-tu sourd ?
— C'est tout ?
— Oui, je te dis !
— Parfait. Alors prends de ton temps et du mien ce que tu voudras et réfléchis à ton aise. Pense ! Pense !
— Allons ! Pensons !
— Pensons !]

II

(Ha !... Ha !... Ha !... Ah, ces voix maudites qui s'agitent en moi et se débattent à leur aise ! Ces voix qui se ruent dans mon espace intérieur comme bon leur semble, comme si, Moi, je n'avais aucune existence, comme si j'étais néant, et elles, elles seules, étaient ce que je suis, ce que je serai et ce que je dois être. Quelle insolence ! Quelle arrogance ! Ah, ce fardeau qui m'emplit et empoisonne mon existence !
Essence sont-elles ou apparence ?
Où suis-je donc parmi elles qui me scient et me ceignent ?
Je saigne et deviens leur territoire partagé, leur corps mutilé. Mes fragments s'éloignent les uns des autres et se rapprochent. Ils s'éparpillent au gré du vent, se réunissent à nouveau avant de se disloquer, s'en allant voltiger dans d'autres cieux, en un perpétuel périple. Mon corps est un essaim infini d'hirondelles nomades qui errent vers d'autres espaces de pérégrination. Mon corps m'abandonne. Il s'extirpe de moi et s'en va vers... vers l'Après-moi. Et dans l'Après-moi, l'Autre-corps émerge lentement, lentement. Comme naguère, comme maintenant, tout comme plus tard, il ne me parvient plus qu'en forme de vision. Au loin, très loin, il éclôt et grandit. A distance d'un précipice aveugle, vorace et sans confins ni fin, il s'élance en face de moi et vacille dans le vide. Il emplit mes yeux et, telle une almée divine, y danse, danse suivant les battements de mon cœur. Au bout d'une éternité, il hisse le voile et s'éloigne hors de moi, me livrant à des voix acharnées et capricieuses qui m'étouffent.

Malgré le temps qui passe et nous presse, il me reste encore quelques miettes de souvenir : quand l'Autre-corps dansait, tantôt en moi, tantôt en face de moi, et lorsque sa danse devenait de plus en plus chaude, de plus en plus intense, j'entrais en transe. Un ciel s'ouvrait dans ma poitrine, laissait pleuvoir un mélange d'aspirations et de soupirs, un mélange d'envies et de désirs, d'amour et d'Aimance. J'ai vu, j'ai entendu des voix qui sourdaient lentement, lentement. Il ne s’agissait pas de mes voix, celles qui m'habitent depuis toujours. Elles venaient d'ailleurs. Elles priaient pour moi, buvaient à ma santé, donnaient des sérénades inédites et me lançaient des appels. J'ouvris amplement mes yeux de l'intérieur, et c'est alors qu'au milieu des statures ondoyantes comme la houle paisible, je cernai celle de l'aimée. Je reçus en plein cœur sa fragrance, senteur de henné et de girofle, qui vint rafistoler mes fragments disloqués, m'enivrer et me raviver. Je naquis promptement de mes cendres, je me hissai au-delà de mes décombres et, sans voix, mes hurlements s'élancèrent : "Voudrais-tu bien être moi, me devenir, être l'origine de notre osmose, ô stature de l'aimée ! ô son corps ! ô montagne qui ne peut parvenir jusqu'à moi, approche, ou alors aie la volonté que je sois le partant vers toi !".

La stature fluide et ondoyante vacille encore et encore dans mon ciel. Elle me parle dans des langues inédites qui exhalent l'expiation, la contrition et la souffrance. La souffrance. Je la vois, cette stature fluide, et ne la vois pas, je crois m'approcher d'elle alors qu'en vérité je m'éloigne. Qui est-elle ? Lustre incandescent ? Etoile filante ou comète égarée ? Djinn, ange ou créature adamique ? De quelle galaxie lointaine vient-elle ?
Et voici, tout comme si elle m'avait entendu, qu'elle m'ordonne, au nom de ce qui advint et de ce qui adviendra, de lire les détails du souvenir dans les pages de la souvenance, de revoir les jours éculés, les nuits écoulées, dont il ne reste plus dans ma mémoire, dans mes strates profondes, que des miettes et des bourgeons fanés. Elle brandit ce que je vois, ce que je sais et ce que j'ignore. Elle continue ainsi, vacille et scintille encore et encore en face de moi, en moi, jusqu'à ce que ma voix se libère de son carcan : "Ô toi, femme insaisissable ! Tu es mon lustre lumineux ! Enfin je te découvre et te reconnais, femme indomptable ! Désormais je te connais et te sais. Eclaire-moi donc si je me trompe !".
"Agar, me rapporte l'écho de sa voix, je suis ta mère Agar. Ceci est mon corps, entre donc, entre, mon fils, ô l'Arabe !".
Quand, de force et de fait, je m'apprête à m'exécuter, à partir vers elle en quête d'amour, d'Aimance et d'aman, sans me refuser, sans qu'aucune entrave me retienne, une voix atterrante jaillit en moi, me brûle avec la braise de ses mots, me scalpe avec la cruauté de ses interdits : "Ô toi aux membres éparpillés ! Toi le morcelé, hors norme et sans norme ! Passe ! Renonce à cela, car ce sera là, certainement, ta perte".
Affligé, aphasique, je rebrousse chemin. Je renonce à ce que je n'ai guère tenté d'atteindre, mes yeux se refermant l'un après l'autre, l'autre après l’un, l’un, l’autre...
Rongé par la fièvre de l'Aimance, je pars à reculons, noyé dans la lave de ma sueur. L'Autre-corps, oscillant, comme dans le vide d'un océan tari, s'élance en face de moi, m'assiège et me jette des roses étiolées qui me font l'effet du sabre. Il demeure ainsi, tournant à proximité, m'entourant, me tentant et me sollicitant, si bien que l'envie de partir à sa rencontre me reprend. Malgré les déchirements, il m’atteint. Je me lance vers lui, j'affronte ce que j'endure et ce que je crains. Mais à peine fais-je le premier pas au-devant de lui, qu'il disparaît promptement, comme s'il n'était qu'hallucination et mirage. Il se propage dans mes alentours, s'y dissipe, m'abandonne au gouffre menaçant de l'oubli. Il s'efface et me laisse la nostalgie, le mal de lui, de la comète incandescente, tandis que la lumière de ma lanterne intérieure s'atténue lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Je baigne dans la pénombre, livré aux vacarmes des voix, aux chocs des vagues qui se débattent et s'interpénètrent dans mes entrailles. Ah, ces voix qui emplissent mon corps jusqu'à le devenir !
Être ou devenir ?
Quand et comment ?
"Quel Être suis-je ?, j'interroge celui que j'interroge".
"Tu es Moi, répond l'interrogé. Tu es des voix qui fusionnent et se disloquent afin de se rapprocher, de se réunir à nouveau. Tu es Toi, moins quelque. Tout simplement. Tout simple... ment... ")

I Bis

[— Et les autres ? T'es-tu préoccupé de leur sort un instant ? Que vont-ils devenir ? Réveille-toi !
— Aaaaaaah ! Qui perturbe mon sommeil à cette heure de l'aube ? ... C'est toi ? Tu reprends tes provocations ! Laisse-moi en paix, je te prie !
— Réponds-moi ! As-tu bien réfléchi ?
— Oui. Très bien, très bien.
— Excellent. Alors tu dois avoir abouti à une bonne résolution !
— Quelle résolution ?
— Le supprimer.
— Qui ?
— Lui.
— Pourquoi reviens-tu me provoquer à nouveau ? Ta persévérance m'irrite et j'en suis las. Laisse-moi en paix, je t'en conjure, mes ennuis suffisent.
— Bon sang ! Depuis peu, nous sommes convenus d'un accord. Tu m'as promis, tu m'as donné ta parole. Que t'arrive-t-il maintenant ?
— Je n'ai rien promis à personne.
— Ne t'es-tu pas engagé à réfléchir ?
— Réfléchir ? A quoi ?
— A notre sujet. "Eux" et "Lui".
— "Eux" et "Lui" ! Je suis harassé de réfléchir, je suis las de raisonner. Il n'est, certes, pas aisé de penser à une chose précise, surtout quand elle est imprécise, vague et vaine à la fois.
— Oh, ciel ! Tu es certainement en train de délirer. N'as-tu pas pensé à notre pacte ? Dis-moi ! Mon sang bouillonne ! Tout ce temps, est-il passé en vain ?
— Pas vraiment. Durant tout ce temps, je rêvais.
— Quoi ? Tu rêvais ? ! Ha... Ha... Ha... Ha... (...............) ... Il rêvait ! Il ne te manquait plus que ça, espèce d'idiot. N'y avait-il pas mieux à faire ? Et notre projet ?
— Le temps que j'avais ne me permettait pas autre chose que de rêver. Il fallait que je rêve. Je rêve, donc je réfléchis, je pense. Je ne pouvais faire autrement.
— Tu es en train de réveiller mon Satan, d'attiser ma colère, et tu risques de le regretter.
— Ah, mon semblable ! Tu ne me comprends pas.
— Et toi, mon opposé, opposant, tu tords mes nerfs.
— Ne t'est-il pas arrivé la même chose qu’à moi ? N'as-tu rien senti d'étrange qui se déroulait non loin de nous, très près de nous ?
— Quelque chose d'étrange ! Quand ?
— A ce moment-là. Au même moment.
— Quel moment ?
— Cela s'est passé à la même heure, au même endroit où nous avions décidé de prendre de ton temps et du mien un laps pour réfléchir.
— Réfléchir ? A quoi ? A quel sujet ?
— Le nôtre, évidemment !
— Le même, le même ?
— Naturellement.
— Qu'est-il arrivé ? Raconte !
— Il s'est passé des choses inhabituelles pour nous. C'est pourquoi je me suis mis à rêver, donc à penser, puis à tendre subrepticement l'oreille.
— Comme pour écouter aux portes ? Mal élevé !
— Oui, mais il n'y avait pas de porte. N'as-tu rien entendu, toi ?
— Non, je dormais. Que s'est-il passé ?
— Il s'est passé... il... il est arrivé que l'Autre s'est réveillé. N'as-tu pas eu de ses nouvelles ?
— L'Autre ! Qui ? Des nouvelles de qui ?
— Ne me dis pas encore qu'il s'est effacé dans ta mémoire et que tu l'as oublié à jamais.
— De qui parles-tu ?
— De L'Autre qui... qui est toi et moi. De celui qui est nous. De celui que nous sommes, en somme.
— Ha !... Ha !... Ha !... Ah, ce maudit-là qui...
— Lui-même.
— Il s'est réveillé ! Dormait-il vraiment ? Lui arrive-t-il de sommeiller ?
— Rien n'a donc attiré ton attention ? N'as-tu rien senti ?
— Non, rien. Je dormais profondément. Raconte-moi, vite !
— Sache qu'au moment où il s'est réveillé, j'ai cessé inopinément de rêver, de penser et de réfléchir. J'ai tendu l'oreille et me suis laissé faire. Ses hallucinations et ses délires m'ont empêché de songer à ton sort et au mien...
— Ton sort est connu depuis longtemps. C'est un problème résolu et désormais sans intérêt. Quant au mien, cela ne te regarde pas. Allez ! Raconte ! Pourquoi délirait-il ?
— Ai-je dit qu'il délirait ?
— Parle donc ! Tu fais tendre mes nerfs !
— Des maudits ! Voilà ce que nous sommes ! Des voix capricieuses et entêtées, ainsi a-t-il décidé. A coup sûr, il est au courant de tout ce qui se passe entre nous. Il sait par cœur ce qui est latent et patent en nous.
— Quel insolent !... Je m'occuperai de lui plus tard. Allons, finis ton histoire !
— Il y a pire encore: nous sommes un fardeau qui l'emplit et empoisonne sa vie... Il sait tout, tout, je te dis !
— Qu'importe ! L'essentiel, c'est de nous entendre, toi et moi. Quant à lui...
— Mais il se peut qu'il ne soit pas d'accord !
— De quoi se mêlerait-il ? Qu'il soit consentant ou non, c'est égal. Nous sommes la force qui l'anime et le fait agir. C'est nous qui décidons. Malgré lui, il s'exécutera, tu le sais.
— Je crains seulement sa mauvaise réaction. C'est un lâche, un paranoïaque fini, un fou à lier ou presque.
— Ne te fais pas de souci. Entendons-nous d'abord, et gare à lui s'il résiste et s'entête !
(...........)
— Malheur à ces distances qui se creusent entre nous et lui ! Vois-tu, mon semblable, alors que je prêtais l'oreille, un sentiment d'éloignement et d'exil m'investissait. Il me transportait loin, très loin, à un degré tel que les écarts ne cessaient de s'étirer. Je les vois s'étendre encore entre lui et nous. Ils s'allongent encore et encore au-delà des tropiques les plus extrêmes. Ah, mon frère ! si, comme moi, tu avais parcouru la voie de l'Illumination, les labyrinthes du discernement ! Délirait-il vraiment ? Ce qui advint, est-il vraiment advenu ? Ah, si tu avais entendu ses propos nous concernant ! Où puisait-il cette voix qui avait encore un souffle de vie ? Cette voix qui nouait le lien entre lui et cette créature qu'il voyait et qu'il ne voyait pas. Comment, pourquoi s'était-il défait de nous pour s'engager dans la voie opposée, seul, esseulé, dialoguant, interpellant des spectres et des créatures pour nous encore étranges ? Nous les plus proches de lui que lui de lui-même ! Comment ? Pourquoi, ô mon semblable ? Comment dit-il ce qu'il sait et ce que nous ignorons ? Pourquoi ignorons-nous ce qu'il sait ? Ah, si tu avais laissé tes oreilles percer ses dires et ses délires ! Il parla de nous, de lui, de la météorite perçante, de l'étoile filante... de la comète et d'Agar. Qui est l'Autre-corps et qu'est la force et le fait ? Qui est cette voix atterrante ? Que sont les détails du souvenir ? Que sont l'essence et l'apparence ? Qu'est-ce que la cruauté des interdits ? Que suis-je et qu'es-tu ? Qu'est ce corps vacillant, oscillant ? Qu'est-ce que l'Aimance... la souffrance.... Qu'est-ce... ?
— Allons ! Calme-toi ! Repose-toi, mon petit moi !
— Que veut dire me calmer, me reposer ? Pourquoi faire ? Où est le sens ? Qu'est-ce que le sens ?
— Viens près de moi ! Viens dans mon giron, car tu es souffrant et fourbu.
— Oui, certes, je suis souffrant. Mais je veux savoir. J'exige le savoir. Je veux connaître, car la méconnaissance enfante l'ignorance.
— Voilà ! Étends-toi dans mes bras. Oui, comme ça. Repose-toi, calme-toi, mon enfant.
— Me calmer ! Me reposer ! Quel est le sens ? Je veux savoir.
— Savoir ? !
— Percevoir. Je veux savoir toutes les choses dont regorge mon intérieur. Mais où est la force, où est le courage ? Y a-t-il un remède à cette impuissance ? Je voudrais tout savoir, moi qui suis dans l'ignorance de tout. Moi qui sais seulement que je ne sais rien. Rien du tout.
— Savoir ou ne pas savoir, c'est égal, mon frère. Bonheur à toi, mon semblable ! Car tu viens d'atteindre la strate la plus élevée de la connaissance. Celle-là même de la non-connaissance. Heureux sois-tu ! tu viens de tout saisir.
— Ah, ce nœud dans ma tête ! Combien il déplume mes ailes et entrave mon élan ! Combien me brûlent ces interrogations glaciales !
— Bienheureux, que tu sois ! car, après avoir entamé le salut partiel, tu es au bord de la délivrance éternelle. Tiens bon ! Tu arriveras. Infailliblement, tu arriveras.
— Je tiens bon ! Pourquoi ? J'arriverai ! Pourquoi ? Pourquoi ?
— Détends-toi ! Pense à ton salut éternel ! Vois comment tu languis et trembles, tel qui est pris de terreur ou d'un chagrin mortel. Regarde comment ton teint change du bleuâtre au noirâtre, du rougeâtre au grisâtre... Toutes les couleurs se succèdent sur ton visage, l'une après l'autre. Je te vois si faible, si friable, en voie d'extinction ! Bientôt, dirait-on, tu n'auras plus de teint qui te soit propre. Tu seras fané, invisible, inexistant. Aie donc pitié de toi, mon compagnon !
— Tu as tort, ami aimé. Je ne suis pas celui que tu vois. Je suis celui que tu ignores. Où sont-ils donc passés, tes yeux de l'intérieur ?
— Tu es en proie à la fièvre, et je te pardonne. Aie pitié de toi ! Pense à...
— ... à m'en débarrasser. C'est inévitable.
— Te débarrasser de quoi ? De qui ?
— De toi et de moi, de "Lui" et de "Eux", de tout ce qui m'entoure. Je suis las de tout.
— Supprime-Le donc !
— Pourquoi reviens-tu m'ennuyer encore avec cette histoire qui t’obsède ?
— Puisque tu es au bord de ta fin !
— (Tonnerre) Je Le tuerai. Je le jure.
— De qui parles-tu ?
— Je le tuerai.
— C'est avec "Lui" que tu dois en finir. Souviens-toi !
— Oui, "Lui". Je lui ôterai la vie puisque je suis au bord de la vie. Au bord de la fin.
— Excellente décision ! Maintenant, taisons-nous. Investissons l'Autre. Unissons-nous en lui afin qu'il agisse. Il faut qu'il agisse !
— Qui est cet Autre ? De qui parles-tu ?
— De celui que nous sommes, toi et moi. Cet Autre que Toi plus Moi égale Lui.
— Ah, combien tu m'agaces ! Que le ciel te pardonne ! Allons ! Presse-toi ! Hâtons-nous !]

II Bis

(Ils s'unissent promptement en moi, adoptent leur pacte et l'entérinent. Il devient un fait. Dès lors, mon devoir est d'exécuter toutes les instructions inhérentes à l'opération. Je ne dois omettre aucun détail, si secondaire soit-il.
Voici qu'une force insolite m'anime et me contraint à agir. Quant aux personnages, aux voix qui m'habitent, ils ont cessé leur tumulte de jadis.
S'agitaient-ils vraiment dans mon espace intérieur, ou alors le turbulent n'était-il autre que moi ? Eux, étaient-ils eux-mêmes ? Celui qui déposa ses bagages entre des voix qui le partageaient, était-il moi ? Étais-je moi ? Les étais-je ? Ou alors est-ce elles qui m'étaient ?...
Aaaaaaah, pauvre de toi, petit moi !
Que t'importe-t-il de t'interroger maintenant, ô mon enfant, ô l'Arabe brun aux nuits si longues et blanches ? !)


Rideau
_____________________________
PS:
Ce texte a été publié dans "أصوات في الجسد" « Asswat fi al Jasad, Des Voix dans le Corps », recueil de nouvelles en arabe, 1ère Ed. 1998, Dar al Qaraouines, Casablanca.
Traduit de l'Arabe par l’auteur, texte original à paraître dans cette même tribune, rubrique « قصص/نصوص».

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